Lundi, 13 mars 2017

Depuis 3 jours, plusieurs personnes (dont moi-même) maudissent ce retour glacial de l’hiver qui gèlent les paupières et rendent les activités extérieures légèrement (!) inconfortables. On espérait que la saison froide, qui le fut peu, soit dernière nous. Il est vrai qu’on a eu droit à un bel avant-goût du printemps à la fin février et au début mars. Les érables se sont même mis à couler dans les derniers jours de février dans certains secteurs du sud de la province et une poussée d’oiseaux migrateurs annonçaient déjà les beaux jours. Ne dit-on pas que les carouges sont annonciateurs du printemps? Les premiers individus de cette espèce accompagnés de Quiscales bronzés ont fait leur apparition dès le 24-25 février. Des Urubus à tête rouge ont été aperçus à la même période, faisant des heureux chez les avicourseurs. La sauvagine s’activait aussi au sud du Saint-Laurent.  La mention la plus surprenante fut sans contredit cette Hirondelle bicolore observée le 26 février par Yves Gauthier à Pointe-aux-Trembles, sur l’île de Montréal. Une hirondelle en février! Incroyable, mais surtout inquiétant…

Pourquoi inquiétant? Parce que cet individu signifiait fort probablement que plusieurs autres membres de son espèce avaient migré vers le nord de façon très hâtive cette année. Les données eBird indiquent en effet qu’une première petite vague d’hirondelles est alors arrivée dans une vaste région comprise entre la ville de New-York et Philadelphie. Ces oiseaux ont profité des températures anormalement douces pour se déplacer. Comme, on peut le voir sur le graphique suivant, le mercure a dépassé les 20 degrés Celsius à 5 reprises à Philadelphie en février. Plusieurs records journaliers ont d’ailleurs été battus dans cette région pendant le mois de février, qui fut le plus chaud jamais enregistré dans plusieurs villes de la côte Est.  Cette première vague de migrateurs fut suivie par une seconde plus importante entre le 7 et 9 mars où les températures ont surpassé les 15°C.

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Températures enregistrées à Philadelphie (Pennsylvanie) en février et mars 2017

 

Les hirondelles et le froid

HIBI

Hirondelle bicolore. Photo par Samuel Denault

Il est bien connu que les Hirondelles bicolores sont les premières de leur famille à arriver sur leur site de reproduction au printemps, possiblement pour avoir le meilleur choix possible au détriment des compétiteurs qui utilisent les mêmes ressources pour nicher (cavités). Toutefois cette arrivée hâtive a le potentiel d’être très coûteux, car les hirondelles peuvent rencontrer des températures froides et des conditions adverses qui peuvent diminuer l’abondance des insectes aériens tout en créant un important stress énergétique (Lombardo, 1986). Bien que cette espèce ait la capacité de se nourrir d’éléments d’origine végétale, tels que des petits fruits, des mortalités parfois importantes peuvent survenir quand la météo fait des siennes.

Un cas intéressant est celui noté par Patrick J. Weatherhead et son équipe en mai 1983 à Delta Marsh au Manitoba.  Tandis que le début du mois avait été marqué par des températures dans les normales, une vague de froid a sévi du 11 au 15 mai. Les températures ont alors soudainement chuté pour atteindre des maximums quotidiens entre 0,5°C et 5,0°C. Des vents du nord accompagnés d’un beau cocktail météo ont aussi été présents pendant ces 4 jours (pluie verglaçante et neige).  Les chercheurs ont alors trouvé plusieurs individus morts dans un rayon de 5 km, dont 7 qui s’étaient empilés dans une cavité arboricole. En fait, il n’est pas rare de voir des Hirondelles (et d’autres espèces) se regrouper lorsque des vagues de froid sévissent, de manière à diminuer l’aire de contact du corps avec le froid. On peut alors observer des dizaines d’hirondelles collées l’une sur l’autre sur un fil électrique. Cette technique a toutefois ses limites quand le froid persiste trop longtemps…

 Stella : une tempête qui pourrait faire mal

Les Hirondelles qui ont profité des températures douces pour migrer jusqu’à l’État de New-York ne doivent pas l’avoir facile depuis 2 jours. Le mercure n’a pas dépassé 1°C à Philadelphie, samedi et dimanche. Aujourd’hui, le maximum attendu pour cette ville était seulement de 3°C.   Si on compare avec la situation observée en 1983 au Manitoba, on retrouve plusieurs similarités en termes de température maximale. Toutefois, la situation pourrait devenir plus que périlleuse dès la fin de la présente journée. La tempête de l’année (nommée Stella) est sur le point de frapper cette région de plein fouet. Comme on peut le voir sur l’image ci-dessous tirée de météomédia, on attend plus de 30 cm de neige dans plusieurs États. Des conditions de blizzard vont sévir pendant plusieurs heures!

.Tempête_14mars2017

Le tout sera suivra par le maintien de températures froides. Si on revient au graphique plus haut, on remarque que les prévisions du 14 au 16 mars annoncent des maximums sous la barre des 0°C jusqu’à jeudi! Au total, les oiseaux auront eu à survivre pendant 6 jours à des températures maximales inférieures à 3°C et des minimums frôlant les -10°C.

Il est à prévoir que plusieurs des hirondelles arrivées de façon hâtive dans le secteur (voir image ici bas) vont périr dans les prochaines 36 heures. Il est toutefois important de noter qu’il ne s’agit pas d’une situation qui va avoir un impact substantiel sur les populations d’Hirondelles bicolores. Le nombre d’individus arrivés dans le secteur concerné est fort probablement qu’un infime pourcentage de la population qu’on y retrouve en juin.

Il n’en demeure pas moins qu’on peut s’en désoler, d’autant plus que des épisodes de redoux hâtifs, comme celui vécu cette année en février pourraient se produire de façon plus fréquente dans les années à venir. Les risques encourus par les oiseaux migrant de façon trop hâtive ne seront alors que plus élevés.

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Mentions d’Hirondelles bicolores en février et mars dans certains États de la côte est.

 Références

Lombardo, M. P. (1986). Yearling-biased female mortality in tree swallows. Condor, 88(4), 520-521.

Weatherhead, P. J., Sealy, S. G., & Barclay, R. M. (1985). Risks of clustering in thermally-stressed swallows. Condor, 87(3), 443-444.

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Texte par Pascal Côté, directeur de l’OOT