Jeudi, 13 octobre 2016.
Le point médian des recensements automnaux a été franchi. Regardons vers l’arrière un peu. Quels sont les faits saillants de la migration jusqu’à maintenant? Comment cet automne se compare-t-il au précédent? Va-t-il y avoir encore des nuées de sizerins? Non, je ne me risquerai point aux pronostics et paris. L’écologie de la forêt boréale est complexe. Son imprévisibilité est une des qualités qui la rend si fascinante.
Les passereaux
Bon, tant qu’à être parti sur les Sizerins flammés, voilà une des surprises hâtives de la saison. En effet, ils ont été vus régulièrement depuis le tout début des relevés. Des individus en plumage juvénile complet ont déambulé, chose fréquente à la fin de l’été sur la péninsule gaspésienne (une population nicheuse y existe sur ses hauts sommets), mais inusitée sur la rive nord du fleuve. Des restants de l’invasion précédente auraient-ils niché bien plus au sud qu’à l’habitude? Si ce départ hâtif du sizerin fait écho à celui des autres fringillidés, c’est de bien mauvaise augure. À pareille date l’an passé, le Tarin des pins entamait avec régularité un mouvement massif, le plus important de l’histoire de l’OOT. Nous sommes présentement en panne sèche de tarins, après un départ record qui a vu plus de 2500 individus passer fin août-début septembre. Idem pour le Roselin pourpré, qui a démarré en trombe pour pâtir à la fin septembre. Le total de 2108 individus grimpe désormais à pas de tortue. Signe que la forêt est pauvre non seulement en semences mais aussi en fruits, le Durbec des sapins est apparu avec régularité dès le 22 septembre. Jusqu’à 48 individus ont été aperçus dans la journée du 9 octobre, date à laquelle il était toujours absent des dunes en 2015.
La grande majorité des Parulines à croupion jaune, Pipits d’Amérique et Alouettes hausse-col ayant déjà quitté, c’est fort tranquille aux dunes en ce mois d’octobre. Les Pics à dos noir et à dos rayé se dirigent vers des records minimaux. Il ne reste essentiellement plus que de sympathiques mésanges qui bougent, soit des têtes brunes vers le sud-ouest principalement (271 ind.) et l’énigmatique tête noire avec un mouvement franchement bidirectionnel (884 direction nord-est, 256 vers le sud-ouest). L’an passé, elles bougeaient en quantités semblables, mais en quasi-totalité vers le sud-ouest.

Cortège funèbre. Petit échantillon d’un groupe de Quiscales rouilleux en migration le 23 septembre 2016.
S’il faut retenir qu’une seule date pour la migration des passereaux, gravons au calendrier le 23 septembre 2016. L’abondance générale de migrateurs diurnes, contrastant avec le reste de la saison, fut couronnée par un record québécois de 2931 Quiscales rouilleux, établissant du même coup une nouvelle marque pour une saison complète à l’OOT! Comme c’est toujours le cas, ces saisons bien garnies qui passent occasionnellement à l’observatoire ne sont que l’histoire d’une seule journée. Comment ils font pour se retrouver sur la côte tôt un bon matin pour défiler en quantités ahurissantes au-dessus des dunes défie l’entendement.
Les rapaces?
Ils sont la preuve que tout n’est pas négatif! Après un bon début marqué par des conditions de migration favorables et le premier Urubu noir en Haute-Côte-Nord le 27 août, les fameuses semaines de non-migration de la première moitié de septembre furent rapidement oubliées le 15 septembre alors qu’un sommet de 1043 rapaces ont migré aux dunes. Deux bonnes séquences ont déboulé, la première de 2666 rapaces du 22 au 25 septembre, puis près de mille les 9 et 10 octobre, après un long creux de 13 jours.

Ce jeune Balbuzard pêcheur sait où il s’en va dans la vie. 24 septembre 2016.
Les chiffres sont encourageants. C’est une autre bonne année pour l’Épervier brun avec bientôt 3000 individus et meilleure encore pour l’Autour des palombes, fort de deux journées consécutives à 22 individus, qui se dirige vers un record saisonnier surtout grâce à sa régularité depuis le début des inventaires. Jamais deux sans trois, le record de 257 Busards Saint-Martin de 2014 et 2015 a encore été égalé, mais ce n’est pas encore terminé pour lui. Fait rare, la Petite Buse frôle le millier à notre site côtier, alors que le Balbuzard pêcheur a pratiquement doublé son effectif de 2015. La croissance démographique du Pygargue à tête blanche ne dérougit pas. On a connu des journées à 26 individus migrateurs le 15 septembre et 23 autres le 23 septembre. Finalement, un rarissime Faucon gerfaut de septembre, le 2e de l’histoire de l’OOT, a été vu le 26.
Et les aquatiques, eux?
Ça baigne! Les Eiders à duvet sont heureux comme tout aux dunes cet automne, avec un maximum intimidant de 8000 le 8 octobre. Signe d’une bonne reproduction, le taux élevé de juvéniles chez le Cormoran à aigrettes a poussé ses effectifs vers un record de 7350 le 5 septembre. Un étonnant total de 192 Petits Pingouins a été obtenu le 31 août. La Mouette tridactyle profitait d’une manne de krill en surface le 2 septembre comme en font foi les 10500 recensées. Parmi elles se cachait un premier Puffin des Anglais de l’histoire des relevés visuels. Un Fulmar boréal le 9 octobre est venu tripler la liste de procellariformes de l’histoire de l’OOT (le seul autre avant 2016 était l’Océanite cul-blanc). L’autre nouveauté aux dunes est encore un oiseau aquatique, venu sous la forme d’un Grand Cormoran le 19 septembre.

Goéland brun (presque) adulte dans toute sa splendeur. 10 septembre 2016
Chez les laridés rares, mentionnons les 3 observations de Mouette de Franklin au pied des dunes cet automne. Jadis considéré comme un pair de la Franklin, le Goéland brun est devenu un migrateur régulier. Après un premier juvénile fort hâtif le 30 août, 46 goélands bruns ont été vus en migration vers le sud-ouest du 6 au 28 septembre, avec un maximum de 22 individus (principalement adultes) le 9. Les dunes de Tadoussac sont probablement l’un des rares sites en Amérique du Nord pour le voir migrer en direct. Lui qui choisit de gagner l’est du continent américain, riche en dépotoirs et stationnements garnis de frites et autres déchets de «fast-food», depuis son nouveau fief de nidification sur la verdoyante côte ouest du Groënland.
Olivier Barden, recenseur à l’OOT