Explos-Nature participe au concours de l’ACFAS – La preuve par l’image
En 2010, l’Association de promotion et défense de la recherche en français (ACFAS) a eu comme brillante idée de créer un concours dédié aux images ambassadrices de travaux de recherche scientifique, afin de faire découvrir les avancées scientifiques du moment. En 2016, grâce à la collaboration du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), ce concours s’est étendu à l’ensemble du Canada. En cette 12e édition, Explos-Nature compte parmi les particuliers/établissements de recherche qui ont affiché leurs travaux dans la galerie. Les 20 images participantes vont être jugées par le public, et l’image gagnante se verra décerner un prix présenté par le comité de La preuve par l’image et l’émission Découverte de Radio-Canada. Si le cœur vous en dit, allez faire un tour sur le site de Découverte pour aller voir notre image, et celle des autres chercheurs. Allez voter pour votre coup de cœur !
Lien du concours : https://ici.radio-canada.ca/concours/la_preuve_par_l_image/2020/?fbclid=IwAR3RS5ZlMCFXCNlRugQLlhkKMZe_-56jksNxjdmwUaorFjWIKT_O-vyUGpo
L’histoire derrière notre image
Derrière notre image se cache une histoire. Quel était le contexte de travail ? Dans quel but cette photo a-t-elle été prise? Eh bien, c’est dans le cadre d’un projet de caractérisation de la macrofaune benthique de milieu rocheux, dans le secteur de la Haute-Côte-Nord et de la Manicouagan, que notre image a vu le jour. Cette dernière a été prise lors d’un tout premier suivi de la faune et flore en exploration sous-marine! Depuis 2018, au printemps et à l’automne, pendant une période de 2 semaines, notre équipe de plongeurs note ce qui habite les fonds marins des sites sélectionnés, en échantillonnant à l’aide de transects et de photo de quadrats. Le but est que d’ici 2021, tous les secteurs visés soient explorés. En plus des données sur les organismes, des paramètres physicochimiques tels que l’oxygène dissous, la température ou l’acidité de l’eau sont récoltés.
Un transect nous permet de compter les organismes qui se trouvent le long d’un ruban à mesurer, sur une certaine distance, selon un protocole établi. Ici, plus d’une vingtaine d’espèces à identifier, sur une distance de 30 mètres, ont été préétablies. On compte parmi elles des espèces à statut, comme le loup atlantique, et des espèces envahissantes, telle que le crabe vert. Le photo-quadrat, un carré de dimension déterminée, est pris en photo pour y extraire diverses informations, lors d’analyses subséquentes. À titre d’exemple, le nombre d’oursins, selon leur diamètre (plus de 2 cm et moins de 2 cm), est compté. Sur un transect de 30 mètres, un photo-quadrat est pris à chaque 3 mètres; ce qui nous donne 10 photos à analyser par transect. Pour vous donner une idée, pour chaque site d’échantillonnage, soit 4 à 5 par année, on effectue 6 à 10 transects partagés entre 2 profondeurs; 6 et 14 mètres… Ça en fait des quadrats à analyser !
Comme vous l’avez peut-être deviné, notre photo de concours est celle d’un quadrat qui a subi diverses modifications dans le but d’aller chercher des informations sur le milieu échantillonné. Voici une photo avant traitement et une après-traitement.
Pourquoi ce changement de coloration ? Pour faciliter l’estimation de la taille des oursins, avoir un indice de la taille des organismes dans la photo, calculer le taux de recouvrement de la coralline ainsi que des éponges, soit là place/proportion qu’un organisme occupe dans le quadrat en cm², et évaluer le substrat. Pour ce dernier paramètre, on cherche à savoir si les animaux reposent sur du sable, de l’argile, du limon, de la roche. On utilise la granulométrie, soit la différence de taille des particules, des grains, pour déterminer le type de substrat. Quels traitements sont utilisés pour obtenir de telle coloration ? Grâce au logiciel photoQuad, nous sommes en mesure de faire une décorrélation et segmentation des couleurs. En gros, ces traitements cherchent à attribuer certains pixels à certaines couleurs ou textures et à étirer les couleurs pour mieux différencier les organismes. À titre d’exemple, cette modification permet d’accentuer la différence entre du jaune pâle et du jaune foncé. Si on regarde la photo originale, au premier coup d’œil, on y voit des anémones plumeuses fermées, des oursins, deux étoiles de mer polaires et de la coralline (algue encroûtant). Avec les modifications de coloration, il est plus facile de ne pas manquer de détails !
Pourquoi est-ce important d’explorer les milieux côtiers infralittoraux du Saint-Laurent ? En espérant que ce premier suivi en initie d’autres, les données récoltées pourront être utilisées, pour détecter des changements dans l’environnement au fil du temps, détecter l’arrivée d’espèces envahissantes et aider dans la découverte et la conservation des richesses du Saint-Laurent.
Une journée typique en mer
6h40, le réveil sonne ! Je saute de mon lit, fait ma petite routine du matin en 20 minutes et hop on commence à charger le camion d’équipement de plongée. Une fois les équipements de plongée personnels, le matériel scientifique, les cylindres et nos bagages pour la journée dans le coffre, cap vers l’estuaire !
L’entrainement matinal n’est pas fini, pendant que nous, les plongeurs, transférons à nouveau les bagages dans le bateau, le capitaine de la magnifique Merveille C prépare le navire. Chaque chose à sa place, pour qu’on soit efficace une fois le temps de plonger. On prépare notre matériel de plongée, ainsi que nos feuilles de notes et on installe ou rafistole le matériel scientifique pendant qu’on vogue vers notre site de plongée… Le tout, en espérant apercevoir une baleine ou un phoque sur le chemin. Le trajet dure parfois de 20 à 30 minutes, parfois jusqu’à 2 heures.
30 minutes avant l’arrivée au site, c’est le branlebas de combat ! Il faut que les plongeurs soient prêts à aller à l’eau une fois la bouée installée. Tout le monde aide tout le monde. Une fois le point GPS localisé, la bouée installée, les mitaines remplies d’eau chaude et le détendeur en bouchent, c’est la mise à l’eau. Je pense que c’est la partie la plus délicate; la mise à l’eau et le retour des plongeurs au bateau. L’estuaire est loin d’être un beau lac tranquille, et il change d’humeur en un rien de temps. Il faut être en mesure de prévoir, courant, vague, haut fond, etc. Pas facile de nager efficacement à la surface de l’eau avec les équipements de prise de donnée !
Sur le bateau, on compte 3 plongeurs et 1 capitaine à bord. Lors d’échantillonnages, 2 plongeurs vont être à l’eau pour prendre des données tandis que le 3e, la sécurité, rester sur le bateau et joue le rôle de sauveteur. Une fois l’équipe de plongeur à l’eau, la sécurité récolte, à l’aide d’une sonde, les paramètres physicochimiques tout en surveillant les bulles des plongeurs. On essaye de faire deux à trois plongées par jour par plongeur, donc on effectue 3 à 4 transects par jour. En moyenne, une plongée en eau froide, soit une eau entre 0 et 6 degrés Celsius dans notre cas, dure entre 45 à 65 minutes. Cette durée est dépendante de la richesse de la faune et flore, mais principalement de la consommation d’air et de la tolérance au froid de chacun.
Entre les plongées, on change les cylindres d’air, les feuilles de données et on se réchauffe avant de replonger à l’eau. Une fois les cylindres épuisés ou une fois que l’heure de retour prévue est atteinte, on remballe notre matériel et on se prépare à rentrer à terre. Vient ensuite l’entrainement musculaire du soir, puisqu’on ramène l’équipement à la maison pour tout rincer et faire sécher. Finalement, on rentre les données de la journée au cas où les pattes de mouche de quelqu’un soient incompréhensibles et indéchiffrables deux jours après. Essayé d’écrire avec des mitaines et un gros crayon et vous comprendrez peut-être notre difficulté…
La plupart du temps, il est entre 19h et 20h lorsqu’on fait cette dernière étape. Mais pour nous, plonger c’est une passion; beau temps mauvais temps, on a toujours le sourire accroché aux lèvres, devenues souvent bleues en raison de la fraicheur de l’eau. Ça fait ressortir le meilleur en nous et on a un plaisir fou à se retrouver sous l’eau.
Camille Pépin, plongeuse scientifique pour Explos-Nature