Jeudi, 22 décembre 2016
L’hiver vient tout juste de débuter officiellement, mais les températures hivernales et la neige sont pourtant bien présentes depuis le début du mois dans plusieurs régions du Québec. Il s’agit d’un fort contraste avec la fin de l’automne 2015 alors que les températures se maintenaient régulièrement au-dessus de zéro et que la neige était complétement absente du sud du Québec jusqu’à la fin décembre. Cette différence notable au niveau météorologique a eu pour effet de créer des patrons très distincts en ce qui concerne la rétention hivernale des oiseaux. Tandis qu’en 2015, les passereaux retardataires étaient bien présents dans plusieurs régions en décembre, il faut plutôt travailler très fort en cet hiver 2016-2017 pour dénicher les quelques passereaux résistant au froid (à l’exception du sud-ouest du Québec). Il faut aussi noter que l’absence de graines ou de fruits chez la plupart des espèces d’arbre de la forêt boréale cette année a eu pour conséquence de favoriser un déplacement hâtif de certaines espèces de passereaux qui hivernent souvent à nos latitudes.
Déplacements hâtifs
En effet, chez les fringillidés, on a eu droit à des mouvements migratoires hâtifs chez la plupart des espèces suivies à l’Observatoire d’oiseaux de Tadoussac. Les deux meilleurs exemples sont le Roselin pourpré et le Durbec des sapins. Ainsi, le roselin a migré en bonne quantité dès la fin août, et ce, jusqu’à fin septembre, pour ensuite être observé en très faible nombre jusqu’à la fin novembre. Certaines années, le roselin migre davantage au mois d’octobre, comme ce fut le cas lors du plus important mouvement migratoire jamais enregistré à l’OOT en 2014. Ce déplacement, dont les effectifs totaux avaient été de 4215 roselins, a principalement eu lieu du 9 au 21 octobre, mais de bons nombres avaient aussi été enregistrés en novembre. Cette année, 83% des 2161 roselins recensés ont migré avant le 15 septembre! Il s’agit néanmoins d’un total saisonnier significatif, puisque la moyenne annuelle pour cette espèce est seulement de 461 individus.
Pour ce qui est du Durbec des sapins, on a eu droit à un défilé aérien des plus spectaculaires! Olivier Barden, notre recenseur en poste depuis 2015, a eu la chance de dénombrer pas moins de 13 870 durbecs, un nouveau record à l’OOT qui surclasse l’ancienne marque établie en 2014 avec 10 472 individus. De plus, 87% des durbecs ont été dénombrés lors de seulement 5 journées, soit du 24 au 27 octobre et le 30 octobre. La journée du 25 octobre a été qualifié par Olivier comme étant « le Saint-Graal des matinées de migration », puisque 5285 ont défilé dans le ciel de Tadoussac, ce qui constitue un nouveau record mondial pour cette espèce! Les durbecs ont aussi été accompagnés d’un Traquet motteux et de quelques Bec-croisés des sapins, rien de moins…
Quant à l’équipe de baguage alors dirigée par Pierre-Alexandre Dumas, elle était bien en poste et prête à capturer ces nombreux durbecs. Et nombreux, ils furent dans les filets. Du 24 octobre au 6 novembre, 1020 durbecs ont été bagués, surpassant et de loin l’ancien record obtenu l’an dernier avec 329 individus. Fait surprenant, seulement 41% des durbecs capturés étaient des juvéniles, une proportion similaire à celle obtenue l’an dernier (46%). Lors de l’imposant mouvement de 2014, cette proportion était plutôt de 91%.
En ce qui concerne les dates de passage, sans être très hâtives, elle se démarquent de celles de l’automne 2014, alors que le gros des effectifs avaient migré à partir de la mi-novembre. Ces différences notables pour le durbec et le roselin semblent être liées à l’abondance des fruits de sorbier d’Amérique. En effet, des analyses préliminaires effectuées par notre équipe semblent indiquer que ces 2 espèces ont tendance à quitter plus tôt les années où les fruits de sorbier sont peu ou pas abondants. L’abondance de ces fruits étant presque nulle dans l’ensemble du sud du Québec, il est à prévoir que la présence de Durbec et du Jaseur boréal sera très limitée pendant tout l’hiver 2016-2017.
D’autres espèces qu’on a observé en très bonnes quantités à l’automne 2015 et à la fin de l’hiver dernier seront vraisemblablement absentes cet hiver, et je parle ici du Sizerin flammé et du Tarin des pins. À l’automne 2015, on se souviendra que l’OOT a eu droit à un mouvement sans précédent de Sizerins flammés, avec un dénombrement total surpassant les 200 000 individus! Du jamais vu à l’OOT et nulle part ailleurs sur la planète!Le Tarin des pins n’était pas en reste avec un total saisonnier de 27 000 individus.
L’équipe de l’OOT est habituée à observer des variations interannuelles importantes chez ces 2 espèces et c’est exactement ce qui s’est produit cette année. Ainsi, seulement 3951 sizerins et 3650 tarins ont été dénombrés, ce qui représente respectivement 2% et 13% des nombres observés en 2015! Malgré ce petit passage, l’équipe de baguage a réussi à maximiser la capture de ces 2 espèces. Au total, 302 sizerins et 398 tarins ont été capturés. La proportion de juvéniles chez le tarin était de 63%, bien en deçà de celles obtenues lors des 2 derniers automnes où les nombres de tarins en migration étaient beaucoup plus importants. En effet, 91% des tarins bagués étaient des juvéniles en 2014 pour un dénombrement de 13 218 individus tandis que ce pourcentage était de 84% en 2015 pour un dénombrement de 26 456 tarins.
Pour compenser en partie cette diminution importante d’oiseaux dans le ciel de Tadoussac en octobre et novembre, notre recenseur a pu profiter d’un mouvement d’une autre espèce de fringillidé, mais qui est beaucoup plus rare : le Bec-croisé des sapins. Le Bec-croisé des sapins est un véritable casse-tête écologique. On connaît 10 types qui se différencient par leurs cris de vol ainsi que par certains traits morphologiques et écologiques. En 2012, l’OOT a été témoin d’une importante irruption du type 3 qu’on retrouve principalement dans les zones côtières de l’ouest américain. Cette année, on a plutôt affaire à une irruption du type 10 qui est plus abondant le long de la côte ouest des États-Unis, mais qui est aussi dispersé en faible nombre dans le nord-est du continent. Au total, 362 bec-croisés ont été notés en 2016, dont 125 individus dans la seule matinée du 13 novembre. Il s’agissait d’un record quotidien pour cette espèce à l’OOT!
Parmi les autres espèces de passereaux ayant connu de bons passages migratoires, notons l’Alouette hausse-col avec un effectif de 3135 individus, le plus haut total enregistré depuis 2003 pour cette espèce qui semble connaître un déclin depuis une dizaine d’années. Le Quiscale rouilleux a aussi connu une très bonne année avec le dénombrement de 3042 individus, dont 2931 oiseaux dans la seule journée du 23 septembre! Il s’agit en fait d’un nouveau record saisonnier à l’OOT pour cette espèce classée en péril à l’échelle canadienne.
Les rapaces au rendez-vous
La réputation du site de l’OOT aux dunes de Tadoussac, n’est plus à faire concernant les oiseaux de proie. Il s’agit du meilleur site au Québec pour observer ce groupe d’espèces et la saison 2016 en est un bel exemple avec le dénombrent de 8045 individus. En fait, il ne s’est pas vu autant de rapaces à l’observatoire depuis l’automne 2002, alors que 8470 oiseaux de proie avaient été recensés. Cet impressionnant total s’explique par l’addition de nombres record (ou près de l’être) pour plusieurs espèces. La mention la plus marquante est sans contredit les 318 Pygargues à tête blanche. Comme on peut le voir à partir du graphique ci-joint, la progression du pygargue à l’OOT est spectaculaire. C’est aussi le cas dans plusieurs observatoires de rapaces dans l’est du continent. Hawk Mountain en Pennsylvanie a d’ailleurs pour la première fois de son histoire (qui a débuté en 1946) atteint la barre des 400 pygargues cet automne.
Les 198 Autours des palombes est aussi un total hors de l’ordinaire. L’ancien record de 161 individus avait été établi en 2004, tandis que la moyenne annuelle est plutôt de 91 autours. Mention honorable au Balbuzard pêcheur qui a traversé le ciel de Tadoussac à 392 reprises en 2016, soit le 2e plus haut total après la saison de l’an 2000 avec 439 individus.
Les trois espèces les plus communes à l’OOT ont aussi fait belle figure. D’abord l’Épervier brun a connu une autre saison à plus de 3000 individus avec un total de 3288 oiseaux. Il s’agit de la 4e année à dépasser cette barre au courant des 6 dernières saisons de suivi. Il est fort possible que le tout découle de la plus grande abondance de passereaux qui profitent de l’épidémie de la tordeuse des bourgeons de l’épinette qui sévit en Côte-Nord depuis 2009.
Pour ce qui est de la Buse à queue rousse, les 1415 représentants de cette espèce observés aux dunes constituent le meilleur résultat depuis 2012. L’histoire se répète pour la Crécerelle d’Amérique dont l’effectif total (786 oiseaux) est le plus imposant depuis l’automne 2010. La seule ombre au tableau est le faible nombre de Buses pattues, soit 99. Il s’agit du 6e plus petit nombre enregistré depuis 1996. En fait, les 6 plus faibles totaux saisonniers pour la Buse pattue ont été établis depuis 2009. À titre comparatif, plus de 200 Buses pattues ont déjà été dénombrés à 6 reprises à l’OOT, dont 2 saisons avec plus de 500 individus à la fin des années 1990. Un déclin semble se dessiner pour cette espèce…
Il n’en demeure pas moins que le bilan global de cette 23e saison des relevés visuels de l’OOT est plus que positif. On a eu droit à de belles surprises, dont le premier Urubu noir de l’histoire de l’observatoire, des oiseaux en quantité et de nombreux visiteurs.
L’OOT tient finalement à remercier le Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs ainsi qu’Environnement et Changement Climatique Canada pour leur important soutien financier qui a permis de renouveler le programme des relevés visuels en 2016.