Jeudi 19 avril 2018
La période de dormance est terminée : le blogue des migrations est de retour pour une autre saison qui s’annonce et est déjà unique sur plusieurs aspects. Des prévisions migratoires seront effectuées de façon plus ou moins régulière, suivant l’évolution des systèmes météo des prochaines semaines. Mais avant tout, commençons par parler de l’éléphant dans la pièce : le printemps affreusement moche 2018!
Ainsi, Mère nature avec l’approbation de Phil la marmotte, a décidé de nous jouer un petit tour cette année : retarder le printemps d’un mois! Pour plusieurs ornithologues, l’attente des migrateurs (et des beaux jours) commence à être longue, très longue, d’autant plus que le Québec a été épargné par les vagues de fringillidés (tarins et sizerins) qui déferlent certaines années, en mars et/ou avril. Il est alors commun de voir plusieurs dizaines, voire centaines d’oiseaux aux mangeoires. En fait, l’abondance de nourriture en forêt boréale cet hiver semble avoir retenu la plupart des espèces de fringillidés au nord du fleuve St-Laurent. Les sorbiers étaient encore chargés de fruits au début février sur la Côte-Nord et dans le Charlevoix. On pouvait alors observer de bons nombres de Merles d’Amérique et même de Jaseurs d’Amérique. Cette dernière espèce reste rarement sur la Côte-Nord pendant la période hivernale et il aura fallu une abondance hors norme de fruits pour ainsi les observer. En contre partie, les Jaseurs boréaux n’ont tout simplement pas descendu au sud du 48e parallèle. Alexandre Anctil me mentionnait en février qu’un groupe de près de 1000 Jaseurs boréaux avaient passé une bonne partie de l’hiver à Chibougamau. Aucune autre mention d’un groupe aussi important n’a été noté plus au sud.
Tout cela pour dire que le mois de mars fut très tranquille dans plusieurs secteurs du Québec, à l’exception du sud-ouest de la province où l’absence de neige avait favorisé une première vague migratoire du côté de la sauvagine et des passereaux (carouges, quiscales bronzés, bruants chanteurs). Les températures au-dessus des normales pour une bonne partie du mois laissaient présager de belles choses pour l’arrivée du printemps…
On a plutôt eu droit à un retour de l’hiver qui a mis (et met toujours) un frein à la migration. À l’exception de certaines raretés notables, dont l’Urubu noir observé à quelques endroits au sud et à l’ouest de Montréal depuis le 4 avril (comment ne pas mentionner le groupe de 6 individus, le 4 avril à St-Armand!).
À l’échelle nord-américaine, seulement 2 nuits ont été marquées par des mouvements significatifs d’oiseaux depuis le 1er avril, soit celles précédent la venue du système météo qui a laissé de la neige (plus de 50 cm dans certains États-Unis à l’ouest des Grands Lacs), du verglas (le sud de l’Ontario y a goûté) et tout le cocktail qui accompagne des températures près de 0°C. Les nuits du 12 et du 13 ont en effet été marqués par une migration massive d’oiseaux qui étaient en attente de bonnes conditions depuis près de deux semaines. Encore là, le Québec n’a pas eu la chance de goûter à l’arrivée de nombreux oiseaux, ceux-ci étant bloqué par des précipitations juste au sud de notre frontière!
Retard des migrateurs et déblocage en vue
Évidemment, les températures froides combinées à l’absence de vents favorables ont ralenti considérablement l’arrivée des migrateurs, que ce soit la sauvagine, les rapaces ou les passereaux. Dans plusieurs secteurs, les étangs ou petits étendus d’eau propices aux canards sont encore solidement gelés. Toutefois la situation pourrait évoluer rapidement au courant des prochains jours! En effet une première poussée de chaleur est prévue de lundi à mercredi prochain (23 au 25 avril). Cette poussée sera accompagnée de vents sud, sud-ouest. Il est fort possible qu’on assiste à des mouvements massifs d’oiseaux du sud des États-Unis jusqu’au Québec, en particulier dans les nuits de lundi à mardi et de mardi à mercredi.
Est-ce le grand déblocage tant attendu? Peut-être, mais….
Eh oui, il y a un mais. Pour la même période, d’autres années, il n’y aurait eu aucun doute qu’avec les conditions annoncées, on aurait droit à un arrivage significatif d’oiseaux. Toutefois, nous avons une situation hors du commun en ce moment. Comme on peut le voir dans l’animation ci-dessous, le couvert de neige en date d’aujourd’hui est du jamais vu depuis plus de 10 ans, dans l’est du continent (l’animation montre l’épaisseur de neige, de 2012 à 2018, le 19 avril). On peut d’ailleurs constater qu’il y a de la neige au sol dans une large région au sud des Grands Lacs, ce qui est extrêmement rare à la mi-avril. De plus, presque tout le nord de la Nouvelle-Angleterre est encore sous la neige, à l’exception de la côte Atlantique.
La question est de savoir si ce couvert neigeux peut retenir les oiseaux, en particulier les passereaux hâtifs (roitelets à couronne rubis, quiscales, juncos ardoisés et autres espèces de bruants) plus au sud, en attente que le sol soit découvert. De plus, l’absence de conditions propices à la migration au sud de notre frontière pendant une bonne partie du mois d’avril a peut-être retardé l’arrivée de ces migrateurs dans des secteurs rapprochés du Québec. Est-ce que 2 nuits de vents favorables la semaine prochaine seront suffisantes pour drainer de bonnes quantités d’oiseaux jusqu’à nos latitudes? Honnêtement, j’en ai aucune idée.
De mon côté, comme plusieurs autres ornithologues, je ne détesterais pas avoir droit à un mouvement significatif de passereaux (pendant la nuit) et de rapaces (pendant le jour). Dans un scénario idéal, il pourrait même avoir une correction migratoire en Haute-Côte-Nord, lors de la matinée du 25 avril. Les modèles météo actuels indiquent que ce scénario est plausible. Rappelons que l’an dernier, le 29 avril, des membres de l’OOT ont assisté à l’une des plus importantes corrections migratoires observées depuis 10 ans. Cette correction avait aussi été observée à Cap-Tourmente où les juncos s’étaient ensuite concentrés par milliers. Aux Bergeronnes, plus de 4000 Roitelets à couronne rubis avaient été dénombrés en une matinée! En somme, on se croise les doigts!
Sur ce, je vous souhaite une belle saison de migration!
Pascal Côté, Directeur de l’OOT