Dimanche, 24 mai 2015

La dernière semaine fut forte en émotions avec trois journées consécutives marquées par des corrections migratoires. Après celle du lundi 19 mai décrite dans un précédent article, la journée du 20 mai fut rien de moins qu’extraordinaire! Les prévisions météorologiques se sont avérées exactes pour la nuit du 19 au 20 mai et les conditions ont été au rendez-vous pour créer la «correction parfaite». Pour ce faire, il faut d’abord un flux important du sud, sud-ouest pendant une partie de la nuit, le tout suivi par un vigoureux front froid qui à la suite de son passage génère d’importants vents du nord-ouest et une baisse marquée des températures.  Ainsi, les passereaux qui prennent leur envol en grand nombre en début de nuit, se font emporter par les vents favorables au-delà du secteur recherché pour leur nidification (trop au nord et/ou à l’est). Les oiseaux qui ont traversé le fleuve à l’est de la ville de Québec, en particulier sur la Côte-Nord corrigent leur trajectoire en effectuant un déplacement diurne, pouvant parfois être massif.

Le «parfois» est important, car ce ne sont pas toutes les corrections qui comprennent des milliers d’oiseaux. Il arrive régulièrement en Haute-Côte-Nord que ce type de mouvement soit constitué que par quelques centaines d’oiseaux. Et il n’est pas encore clair quelles sont les conditions exactes qui créent des mouvements de petite ou grande ampleur.  Le fait est que les conditions de la nuit du 19 et de la journée du 20 mai étaient hautement propices et les oiseaux en ont profité massivement.

Récapitulatif d’une journée hors du commun

Dès 3 heures du matin (à mon réveil), je constate que les vents du nord-ouest sont déjà bien en place et très vigoureux. Ceux-ci ont suivi le passage du front froid qui a été marqué par des orages électriques nocturnes, fait rare en Haute-Côte-Nord.  J’hésite grandement à ouvrir les filets, mais une descente au site de capture, près de la rive de la rivière Grandes-Bergeronnes me convainc. Les vents sont beaucoup plus modérés en bas de pente et les filets sont relativement protégés. Ceux-ci sont donc ouverts par l’équipe de l’OOT composée essentiellement de bénévoles très motivés!

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Paruline flamboyante (mâle ASY). L’une des espèces capturées le 20 mai.

Et dès l’ouverture, à 4h30 a.m., je constate déjà le passage de quelques parulines vers le sud-ouest, ce qui est bon signe. Depuis 2009, j’ai assisté à plusieurs corrections migratoires à Tadoussac et Bergeronnes, mais le nombre de mouvements qui ont démarré dès le lever du soleil est très faible. La forte majorité des corrections débute plutôt 1 heure après le le lever du soleil et prenne de l’intensité vers 6h00, 6h30. Les déplacements hâtifs riment généralement avec beaucoup d’oiseaux. Et la matinée du 20 mai 2015 n’a pas fait exception à la règle. Dès 5h30, nous observons plusieurs dizaines de parulines migrant à très faible altitude dans le village. Je décide donc d’aller faire un tour au quai des Bergeronnes, puisque les mouvements sont surtout côtiers et que j’ai une sérieuse impression que ce sera tout un spectacle le long de la rive. En conduisant, j’observe que les parulines sont en déplacement de la Maison de la mer jusqu’au quai. En somme que le front de migration a une largeur de plus de 1,6 km!!! Du jamais vu pour moi. Même lors des très fortes corrections que j’ai vécues, la migration se limitait à 400-500 mètres de la côte.

Au quai, il me suffit de 20 secondes pour avoir une confirmation que c’est le grand jour. En sortant de la voiture, 50 parulines me passent au-dessus de la tête. Un second groupe arrive quelques secondes plus tard. Je retourne rapidement à la Maison de la mer et décide d’envoyer David Turgeon, un stagiaire étudiant à l’OOT, au quai pour une partie de la matinée. De 5h45 à 10h00, il dénombra plus de 5700 parulines sp. et plus de 500 parulines de diverses espèces, en particulier des Parulines tigrées, obscures et croupion jaune!

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Début d’une bonne journée!

Du côté de la Maison de la mer, les parulines migrent aussi en bonne quantité. Dès 7h30, je ne quitte plus mon siège de bagueur et tombe en mode automatique. Les oiseaux s’enchaînent à un rythme que je souhaite soutenu. Malgré les vents forts, les oiseaux attirés par le leurre audio entrent en grande quantité dans les filets. Les démailleurs, sur l’adrénaline,  sont très efficaces jusqu’à la fermeture des filets à 12h20. Au total, je serai en mesure de baguer 328 oiseaux, un record printanier en ce qui me concerne. De ce nombre, 143 individus sont des Parulines tigrées, l’espèce qui est de loin la plus abondante. La diversité est aussi au rendez-vous, puisque 19 espèces de parulines sont baguées, dont la première Paruline triste et Paruline rayée.

Au site de baguage, i.e. le secteur immédiat à la Maison de la mer, l’équipe convient que plus de 2000 parulines ont migré de 5h à midi. Encore une fois, du jamais vu!

Le côté sombre d’un phénomène spectaculaire

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Parulines retrouvées au pied de la Maison de la mer.

Ce jamais vu a par contre une triste conséquence. Tel que je le spécifiais, les parulines migraient à très basse altitude, du fait du puissant vent nord-ouest. Et comme il m’est arrivé de l’observer par le passé, ces oiseaux ont un comportement étrange. Je ne peux pas bien l’expliquer, mais les parulines semblent être dans un état second, dans un «mode migratoire» qui leur fait perdre leur réflexe et défense de base. Des parulines zombies, carrément. Si bien (ou si mal) que les oiseaux ne semblent plus voir les obstacles. C’est par dizaines que des parulines ont ainsi heurté les fenêtres des bâtiments du village. Des gens de Bergeronnes nous ont téléphoné pour avoir davantage d’information sur ce qui se passait alors que d’autres nous ont même apporté des oiseaux morts.  La Maison de la mer a été frappée par plusieurs parulines et près d’une dizaine ont fini leur jour à nos pieds, à notre grand désarroi. Pour des amoureux des oiseaux, de voir ces belles parulines mortes, amène une grande frustration et tristesse.

La suite

Il est intéressant de noter que ce mouvement ne s’est pas limité à la Haute-Côte-Nord. Des observateurs basés au cap Tourmente et au domaine Maizerets dans la région de Québec ont aussi assisté au phénomène. Robin Gingras a d’ailleurs écrit sur le forum ornitho-qc que lui et d’autres ornithologues d’expérience venaient «d’assister à l’une des plus spectaculaires migrations printanières de parulines de l’histoire du cap Tourmente».

Malgré les conditions beaucoup moins favorables, la journée du 21 mai a aussi été le théâtre d’une correction migratoire, probablement la suite du mouvement de la veille. Xavier Mugnier, bénévole à l’OOT, a ainsi dénombré près de 800 parulines au quai des Bergeronnes, entre 8h et 10h.

Au niveau de la station de baguage, les 3 jours suivants (du 22 au 24 mai) seront marqués par de faibles nombres de captures, soit 40, 29 et 38 oiseaux respectivement. Le froid mordant et les vents d’ouest ont grandement réduit le potentiel de nouveaux arrivants. Mais la situation changera dès cette nuit.

Prévisions : une semaine riche en oiseaux

À l’heure actuelle, i.e. à 22h00, le dimanche 24 mai, tous les radars en Nouvelle-Angleterre montrent un fort mouvement migratoire vers le nord-est (voir image ci-dessous). Cette migration est favorisée par des vents sud-ouest qui vont perdurer presque toute la semaine!

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Des températures chaudes seront associées à ce «push» du sud et il est à prévoir que malgré le passage successif de systèmes dépressionnaires, nous aurons droit à des arrivages très importants de passereaux néotropicaux. Il est fort possible que des raretés du sud (overshoot) soient du lot. Dépendant de l’intensité et des heures de passage des différents fronts et zones de pluie associées, on pourrait assister à des «fallouts» localisés, en particulier lors des nuits de mardi et de mercredi.

Une semaine qui s’annonce définitivement riche en oiseaux!

Pascal Côté, directeur de l’OOT.